Je sais que je ne sais rien

Je suis allée voir mon pti loup. Il était au boxe, il s’ennuyait. J’avais ramené un seau plein de pommes et de carottes. Je l’ai sorti de sa boîte, je l’ai brossé longuement, à chaque mouvement un peu trop rapide, il me dévisage, les lèvres pincées, les oreilles en arrière. Sa peau est extrêmement fine, je ne sais pas comment rendre le pansage agréable, je raccourcis ce moment au maximum. Je soupire, il exagère, je me dis. Je lui amène mon seau, je lui coupe un bout de pomme, le jus sucré coule sur ma peau et je lui tends. Il approche son nez, il souffle sur ma main, pas franchement convaincu le bonhomme et…voilà. C’est tout. J’attrape une carotte, il va bien me la manger celle-ci ! Je lui propose, pleine d’espoir, il la prend entre ses dents…et la laisse tomber. J’ai appris bien plus tard que la très grande majorité des pur-sangs n’ont tout simplement jamais mangé ni de pommes ni de carottes. Moi qui espérais m’accorder ses bonnes grâces avec de la nourriture, c’est fichu.

Je l’ai sellé, enfourché (on en reparlera, le montoir, toute une histoire) et en avant. On avance de quelques mètres, on sort du centre équestre et je tourne vers les vignes et la forêt qui surplombe le village. Là-haut, il y a une piste de galop en sable, bordée d’une rangée d’arbres très hauts. Elle est légèrement ombragée. Je me réjouis d’avance, sans savoir que mes espoirs seront réduits à néant en quelques minutes. La bouche en coeur, la banane jusqu’aux oreilles, je n’en reviens pas, je monte mon cheval pour la première fois en extérieur. Il est beau, rutilant, les cuirs brillent, on est fiers. Je bifurque sur la gauche, une petite montée nous attend et nous atteindrons rapidement la piste de galop après un petit trotting. D’un coup, Sa Majesté (son petit surnom, qui lui va si bien), s’arrête d’un coup. Il souffle, ronfle et commence à se latéraliser. Il recule, s’emmêle les pinceaux, les yeux exorbités. Ses veines palpitent, le coeur emballé, ses oreilles vont d’avant en arrière, ses pieds vont de gauche à droite. Il m’implore de tout son corps à faire demi-tour.

Arrêter un Pur-Sang, c’est facile.

J’ai regardé par terre et j’ai vu. J’ai éclaté de rire. Sur le sol, un enfant avait dessiné une jolie marelle à la craie, avec du rose, du bleu, du jaune. Elle était très bien dessinée, très nette, et plutôt grande. Mon beau Pur-Sang de son état n’en revenait pas, c’était décidément un affront pour tout son être. Il transpirait, franchement inquiet. A nos débuts, il avait beaucoup de difficulté à gérer ses émotions, positives ou négatives. Elles étaient entières, sans demi-mesures, et aussi puissantes qu’une vague qui emporte tout sur son passage. Et par-dessus tout, elles s’installaient et pouvaient durer un certain temps. Il n’a pas apprécié que j’en rigole. Il a décidé de sauter la marelle, très haut. Je suis retombée sur ses épaules un peu lourdement, le souffle coupé.

On a continué notre ascension. Comme je l’écrivais plus haut, ses émotions sont difficiles à gérer. Il a semblé plus serein et nous avons continué. Puis il a dit non. Il a reculé, reculé, reculé, les jarrets dans le fossé. J’insiste, allez mon gars, tu exagères, c’est fini maintenant. Il lève la tête très haut, il refuse à nouveau toute indication de ma part, mes jambes le portent en arrière, on est au point mort. Je ne m’énerve pas, je continue patiemment à lui demander d’avancer, et il continue patiemment à essayer de me dire que, non, il n’ira pas plus loin, la marelle c’était trop. La peur, c’était trop. Au loin, je vois des promeneurs arriver. Le genre de promeneurs qui ne marchent qu’une heure par semaine mais sont équipés de Salomon, North Face et Odlo sur tous leurs côtés flockables, limite un Camelback pour se ravitailler en flotte aussi. Je les juge. Ils me jugent : « Ahah il avance plus votre cheval ! ».

Triste constat, mais ils ont raison. Intérieurement, petit magma d’agacement incandescent qui m’agite, ils ont réussi à m’agacer ces troublions. Je leur lance un regard noir, ma spécialité. Je réessaye de faire avancer mon cheval, sans succès. « Il a du caractère, il faut vous affirmer ! ». Je me tourne légèrement dans ma selle, ils sont encore là, à me regarder échouer. L’un d’eux s’est même assis sur un rocher, le spectacle le fascine, visiblement. Je décide de patienter, rênes posées sur l’encolure et j’attends sans rien demander. Ils finissent par s’ennuyer et s’en vont en me lançant un « bon courage » que je leur retournerai volontiers dans le râtelier.

Je finis par descendre du pti poney. Je lui caresse l’encolure, il a toujours l’oeil inquiet. On redescend vers l’écurie, penauds, enfin, surtout moi, lui, il est plutôt content de retrouver son foin.

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